LA NEF C’EST CHER ? PETITE HISTOIRE D’UN TAUX D’INTÉRÊT

28-12-2017

La Nef a longtemps traîné, et traîne encore parfois, une réputation d’être “sympa mais cher”.

Est-ce vrai ? La Nef est elle plus chère ? Et “cher” cela veut dire quoi ?  

Quand on compare le prix du kilo de tomates dans un hypermarché et dans le magasin bio près de chez nous, la différence est quasiment du simple au double. Alors les tomates bio c’est cher ? Ou c’est le juste prix pour le produit que vous achetez ? Et d’ailleurs peut-on parler d’un même produit quand on compare les tomates lisses, calibrées, sans goût, bourrées de toutes les substances toxiques possibles, et produites dans des conditions souvent irrespectueuses de l’Homme et de son environnement, à des tomates biologiques, produites localement, traçables ?

L’idée n’est pas de comparer les banques à des grandes surfaces (quoique) mais bien de questionner la notion de prix, de la capacité à juger que quelque chose est cher ou non.

En banque, ce qui fait la différence pour un porteur de projet, ce qui apparaît en premier, c’est le taux d’intérêt que propose le conseiller clientèle. Alors de quoi est constitué un taux d’intérêt dans une banque?

3 coûts composent le taux

  • les coûts fixes (ou de structure, ou d’exploitation) de la banque ;
  • le coût de l’argent collecté nécessaire au crédit octroyé ;
  • le coût du risque : ce que la banque juge qu’elle doit se faire rémunérer en fonction du risque qu’elle accepte de prendre sur un projet ;

Maintenant un rapide focus sur chacun de ces 3 coûts, en comparant la Nef et les banques “classiques” :

Les coûts fixes

Peu de différence finalement entre les banques et la Nef. La Nef est bien plus petite et donc ses charges de structure pèsent assez fortement sur son exploitation, mais les banques classiques, et leur important réseau d’agences ou leurs systèmes d’information, portent aussi des coûts fixes importants.

Le coût de l’argent

C’est là que la différence est fondamentale entre la Nef et les banques. Même pour les non financiers, il est difficile d’être passé à côté des informations indiquant que nous sommes en passe de “sortir” de la crise financière de 2007-2008 grâce à l’effort consenti par la Banque Centrale Européenne (BCE) pour soutenir les banques, qui elles mêmes doivent soutenir l’économie. Et soutenir les banques, c’est leur permettre de se refinancer, “d’acheter de l’argent”, peu cher. Or depuis 10 ans, la BCE a tellement soutenu les banques par l’injection de liquidités qu’aujourd’hui ce coût est nul, voire négatif. Les banques se refinancent ainsi sur les marchés, donc “achètent des enveloppes d’argent” à taux négatif*, leur permettant de réaliser une marge bancaire même en proposant des taux très bas.

A la Nef, pas d’accès à ces fameuses facilités de la BCE. Le coût de l’argent dans la coopérative est ainsi le fruit de la collecte propre auprès des clients et sociétaires de la coopérative. À la différence des banques,  la Nef ne prête que ce qu’elle a collecté, sous forme de capital, de comptes à terme, de livrets. Et cette ressource est rémunérée. C’est l’effort important consenti par les déposants sur le niveau de cette rémunération qui a permis à la Nef de maintenir une offre compétitive dans un marché devenu un peu fou.

Le coût du risque

Il est plus difficile de dégager une tendance lourde entre banques classiques et la Nef sur ce point. On dit les banques frileuses et peu enclines à prendre les risques qu’elles devraient prendre. C’est globalement vrai, mais la Nef, dans les nombreux cofinancements (plusieurs banques financent une même opération pour un porteur de projet) qu’elle réalise avec des établissements bancaires classiques,  peut aussi juger de leur capacité à prendre des risques.

A la Nef, une évolution sensible dans la prise de risque a été opérée depuis 2017, notamment concernant les montants de prêts octroyés. Mais ce qui ne change pas, et ce depuis la création de la coopérative, c’est la capacité à soutenir les initiatives des porteurs de projet, donc à prendre des risques. Tout le monde le sait, la phase difficile d’une entreprise, la phase la plus risquée, c’est la création, et les 3 années qui suivent. Sur les 5 dernières années (2015-2019), la Nef a octroyé chaque année plus de 50% des nouveaux crédits en soutien à la création d’entreprise. Avec un taux de “casse” ni meilleur, ni moins bon, que les banques classiques. Alors même que celles-ci ne peuvent se targuer d’accompagner autant la création d’entreprise.

Et pour info, et mise en perspective avant de conclure, quand nous comparons les taux servis par les banques, il convient également de se poser la question de ce que cela fait comme différence, en euros. Un exemple :

Pour un crédit de 50 000€ sur 5 ans, selon que vous empruntez à 2% ou à 3% (l’écart de taux en exemple ne reflète pas les différences de taux entre la Nef et les banques classiques aujourd’hui), différence qui peut paraître énorme aux yeux d’un client, l’écart en euros des échéances mensuelles est seulement de 20€…

En résumé, la Nef ce n’est pas “cher”, ou “pas cher”, c’est différent. Déjà elle n’aurait pas pu afficher les taux de croissance évoqués depuis quatre ans (+ 25% entre 2018 et 2019 par exemple) si son offre était trop déconnectée du marché, si elle était si chère. Ensuite parce que le taux d’intérêt ne fait pas tout. Et que la Nef propose une autre relation bancaire, difficilement comparable avec les banques de la place. L’idée est de poursuivre un objectif commun qui dépasse nos entités respectives, qui place la plus value sociale et environnementale à un niveau supérieur à la simple rentabilité économique d’un projet.

Alors certes on dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais à l’heure de la consommation responsable, du commerce équitable et du juste prix, une banque éthique doit pouvoir affirmer ses différences dans ce qu’elle propose, quitte à générer un léger surcoût financier. Celui-ci étant compensé par une circulation financière différente, “un circuit court de l’argent” générant un impact bien moins préjudiciable pour notre planète et nos concitoyen.ne.s.

Ivan Chaleil, directeur commercial et membre du Directoire

* taux négatif : oui vous avez bien lu. Un taux négatif signifie bien que quand la BCE prête 100 à une banque, la banque remboursera moins de 100 à l’échéance.